Comme prévu, la reprise de l'étude du projet de loi DADVSI (Droit d'auteur et
droits voisins dans la société de l'information) a été plutôt agitée. Plusieurs
députés ont crié au scandale, après l'annonce du gouvernement concernant le
retrait de l'article 1er du texte qui décrit les exceptions aux droits
d'auteurs. Je rappelle que cet article avait été amendé en décembre dernier pour
légaliser le téléchargement d'œuvres contre rémunération, ce qui constituait une
première étape à l'adoption de la licence globale (voir précédente édition).
Cette manœuvre, certes peu flatteuse pour le ministre, permet au gouvernement
d'éliminer rapidement le problème de la licence globale, puisque les amendements
liés à l'article 1er disparaissent en même temps.
En remplacement, un
article additionnel a été ajouté, qui reprend les exceptions de l'ancien article
(personnes handicapés, contraintes techniques comme les serveurs cache),
auxquelles s'ajoutent des exceptions en faveur des bibliothèques et de la
presse. Sur ce dernier point, le texte est déjà fortement critiqué par les
journalistes car reposant sur un accord (non encore publié) signé par le
ministre de l'Education Nationale, et autorisant l'exploitation des œuvres de
presse dans le cadre de l'enseignement et de la recherche. Cet accord n'engage
que les éditeurs de presse, et ignore complètement la propriété intellectuelle
des journalistes. La Scam (Société civile des auteurs multimédia) et plusieurs
syndicats de journalistes (SNJ, SNJ-CGT, CCJ-CFTC, F3C-CFDT) signalent que cet
accord n'a aucune validité car il n'a jamais été signé par leurs représentants.
Ils menacent en conséquence d'entamer des procédures judiciaires pour le faire
annuler...
Pendant ce temps, plusieurs députés (dont Christine Boutin et Alain Suguenot
pour la majorité, Patrick Bloche, Didier Mathus, Martine Billard, Didier Migaud,
et Christian Paul pour l'opposition) ont tenté de faire à nouveau adopter des
amendements sur l'article additionnel pour réintroduire la notion de licence
globale, mais en vain. A l'issue de la première journée de discussions, le
constat était donc très clair : la licence globale est morte, comme cela était
pressenti.
C'est pourquoi peu après, les associations de consommateurs
UFC-Que Choisir, la CLCV (Consommation, Logement et Cadre de Vie) et l'Unaf
(Union nationale des associations familiales) ont demandé que "la rémunération
pour copie privée appliquée sur les supports vierges d'enregistrement" soit
revue à la baisse. En effet, "si des amendes doivent maintenant être infligées
aux internautes" qui téléchargent illégalement des œuvres, "ces pratiques
doivent très rapidement être exclues de la rémunération".
A l'issue de la seconde journée de débats, tout semblait se dérouler à peu
près comme prévu par le ministre de la culture, quand soudain une dépêche de
l'AFP a été découverte avec stupéfaction par les députés lors d'une suspension
de séance. Cette dépêche annonçait que le gouvernement avait décidé de
réintroduire l'article 1er, amendements sur la licence globale compris, suite à
des risques d'inconstitutionnalité ! C'est François Bayrou qui s'est indigné le
premier, en lançant au ministre un tonitruant "le parlement ne peut pas être
pris pour une marionnette", suivi immédiatement par toutes les autres formations
politiques. Le ministre de la culture, Renaud Donnedieu de Vabres, a confirmé
l'information, et a tenté d'expliquer que cette procédure avait été choisie "par
conviction personnelle, par respect des institutions, et le soucis de la clarté
absolue". "Je veux qu'il n'y ait aucune ambigüité" a t-il déclaré. En réalité,
ce sont des juristes qui ont alerté le gouvernement sur le fait que le retrait
de l'article 1er avait été réalisé conformément à l'article 84 du règlement de
l'Assemblée nationale ("les projets de loi peuvent être retirés par le
gouvernement à tout moment jusqu'à leur adoption définitive par le Parlement").
Cet article n'avait été utilisé qu'une seule fois dans le passé, en 1961, mais
le Conseil constitutionnel n'avait alors pas eu à se prononcer sur la validité
du procédé (la procédure de saisie du Conseil par les parlementaires n'existait
pas à l'époque). De fait, un risque d'inconstitutionnalité était possible, et
les députés socialistes et communistes avaient déjà annoncé leur intention de
saisir le Conseil.
La procédure choisie par le gouvernement laisse perplexe.
En effet, après l'étude de l'article additionnel en cours, le débat reviendra
sur l'article 1er. Une fois les discussions achevées, le gouvernement a
l'intention de le rejeter purement et simplement. Bref, une étude pour rien. Le
président de séance, le socialiste René Dosière, a jugé la procédure
"régulière", quoique "innovante"... On peut donc comprendre pourquoi de nombreux
députés demandent une levée de l'urgence qui a été institué sur ce texte...
L'étude du projet de loi va donc continuer dans la plus grande confusion.
Certains amendements seront à suivre. En particulier, on notera que la fondation
Creative Commons France a demandé au Parlement d'adopter des amendements
favorables à l'indépendance des artistes. Cela passerait obligatoirement par une
ouverture de la Sacem à tous les auteurs et artistes, qui auraient "la liberté
de ne pas apporter tout ou partie de leurs œuvres et tout ou partie de leurs
droits portant sur ces œuvres", ce qui n'est pas le cas aujourd'hui puisque la
Sacem dispose du monopole de le gestion des droits de chaque artiste sur
l'ensemble de ses titres, et interdit de fait l'utilisation des licences
libres.
D'autres amendements sont plus folkloriques, tel le n°326 qui impose
que le collège des médiateurs ne pourra pas interdire la copie d'œuvre fixée sur
un support assujetti à la rémunération pour copie privée (ce qui rendrait à
nouveau légal la copie de DVD), ou encore le n°273 qui stipule que "les éditeurs
de mesures techniques de protection sont tenus de transmettre à la Direction
Centrale de la Sécurité des Systèmes d’Information du Secrétariat Général de la
Défense Nationale les spécifications et le code source sous forme électronique
des logiciels concernés ainsi que ceux du compilateur permettant l’assemblage
dudit code source" (WMA DRM et Fairplay bientôt open source ?), ou mieux, le
n°331 qui "puni de six mois d'emprisonnement et 30.000 € d'amende le fait de
distribuer, d'importer, mettre à disposition sous quelque forme que ce soit une
mesure technique au sens du présent code, ayant pour effet d'empêcher la mise en
œuvre effective de l'interopérabilité" et "puni de la même peine, le fait pour
un fournisseur de mesure technique, au sens du présent code, de refuser l'accès
aux informations essentielles à la mise en œuvre effective de
l'interopérabilité". Bientôt Steve Jobs et Bill Gates en prison ?
Enfin, de son côté, le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, avait réuni
à la place Beauvau plusieurs artistes (Nadiya, Julie Zenatti, Julien Clerc,
Enrico Macias, Calogero...), le PDG de la FNAC Denis Olivennes, et le PDG
d'Universal Music France Pascal Nègre, pour leur annoncer sa volonté de "chasser
les logiciels" de téléchargement illégal et de se doter "d'outils juridiques"
contre les sites les exploitant. Un mélange des genres douteux entre la
technologie et l'acte individuel, qui est dénoncé par la ligue Odebi. Plusieurs
amendements allant dans ce sens seront néanmoins proposés par des députés UMP.
Mais la "meilleure" déclaration faisant suite à cette réunion nous vient du
groupe Kyo : "Le truc qui m'a le plus parlé dans ce qu'il nous a dit, c'est la
possibilité de fermer un site de téléchargement illégal parce que c'est
s'attaquer aux gens qui proposent de la musique gratuite et non pas s'attaquer
aux internautes" [...] "Avec Internet, on peut faire n'importe quoi. On peut
empêcher ces sites d'être utilisables en France. Ils le font bien en Chine",
avant de rectifier maladroitement en ajoutant qu'il s'agissait "juste d'une
comparaison technique"... Sans commentaires.