Comme prévu, les députés examinent actuellement le projet de loi DADVSI
(droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information), malgré les
nombreuses demandes de rejet, comme par exemple récemment celui du syndicat des
journalistes (SNJ). Pour répondre au tollé grandissant, la gouvernement a mis en
place un espace d'information ( http://www.culture.gouv.fr/culture/1206/ ) qui flirte
dangereusement avec la désinformation (en particulier concernant les DRM) et
reste silencieux sur certains points contestables (logiciels libres, webradios).
Le débat a plutôt mal débuté à l'Assemblée Nationale, puisque le
ministère de la culture avait invité à proximité de l'hémicycle des
représentants des sites de téléchargement payants de musique de Virgin et de la
Fnac, qui offraient des bons de téléchargement gratuits de 9.99 € aux députés.
Cette opération publicitaire a déclenché un scandale dans les rangs du parti
socialiste, qui a demandé (et obtenu) au président du parlement de faire cesser
cette intrusion commerciale jugée "inqualifiable et scandaleuse".
Pour
rattraper ce mauvais départ, le ministre de la Culture a annoncé qu'après un an
de négociations, l'AFA (Association des Fournisseurs d'Accès à Internet) et les
professionnels de l'audiovisuel (France Televisions, Canal+) et du cinéma
avaient enfin réussi à se mettre d'accord concernant le délai de disponibilité
des films dans les services VoD : ce sera 33 semaines (soit un peu plus de 7
mois) après leur sortie en salles, donc juste après la disponibilité en DVD en
vente ou location (6 mois) et juste avant la disponibilité en pay per view (9
mois). En outre, le protocole d'accord prévoit plusieurs modèles de
commercialisation (à l'unité, en pack, et par abonnement limité à 15 films par
mois, sous forme de location de 24 heures en streaming ou en vente
dématérialisé). En contrepartie, les FAI s'engagent à rémunérer les ayants droit
à hauteur de 50 % pour les nouveautés et 30 % pour les œuvres de catalogue. De
plus, les FAI contribueront au financement du cinéma européen, en fonction des
revenus réalisés par l'opérateur de la plateforme de VoD : 5 % (dont 3.5 % pour
les œuvres en langue française) pour un chiffre d'affaires compris entre 1.5 et
3 millions d'euros, et 8 % au-delà. Si le ministre se satisfait de l'accord, on
peut toutefois souligner qu'il n'est valable que pour 12 mois, et que la
chronologie des médias choisie devrait être très défavorable aux services de
VoD. En effet, les films seront proposés à 3 € l'unité (ou 4 € pour les
nouveautés), alors qu'ils seront déjà disponibles en location depuis près de 2
mois à un prix inférieur... Pire : les chaines de télévision ont obtenu que les
offres de VoD par abonnement ne concernent que les œuvres de catalogue (sorties
depuis plus de 36 mois).
Rappelons que pour obtenir cet accord, le
ministère de la Culture avait promis aux ayants droit la mise en place de la
fameuse "riposte graduée" dans la loi DADVSI, pour contourner les refus de la
CNIL. Et c'est ce qui a déclenché un second scandale dans l'hémicycle. En effet,
le gouvernement a déposé en catastrophe l'amendement 228 concernant ce principe,
qui rendrait responsable les internautes de toute utilisation de leur abonnement
Internet (y compris par des tiers). Il faut d'ailleurs noter que la première
version de l'amendement rendait responsable l'internaute même s'il téléchargeait
par erreur ou à son insu un fichier sous copyright... Un traçage systématique
des internautes serait donc mis en place, avec en parallèle un enregistrement
automatique des adresses IP, ce qui permettrait aux majors d'envoyer des mises
en demeure en cas d'infraction. Mais le plus incroyable serait la mise en place
d'une commission administrative indépendante, où les majors pourraient traduire
les internautes récidivistes. Ce comité de médiation serait autorisé à prononcer
des amendes comprises entre 150 et 15.000 €, sans que l'internaute ne puisse
être défendu par un avocat ! D'ailleurs, une condamnation par cette commission
ne garantirait pas que les internautes ne puissent par la suite être poursuivis au
civil, voire au pénal... Cette nouvelle "police d'Internet", mise en place en
toute discrétion par le ministère de la Culture, bouleverserait le système
judiciaire actuel. Si jamais une telle mesure était adoptée par l'Assemblée
Nationale, il y a de fortes chances que le Conseil Constitutionnel ou la CNIL la
bloque définitivement.
C'est donc dans une atmosphère plutôt houleuse
qu'a débuté l'étude du texte et des premiers amendements, dont deux amendements
identiques (153 et 154) qui introduisent la fameuse "licence globale
optionnelle", qui permettrait aux internautes qui le souhaitent de télécharger
des fichiers sous copyright en versant une redevance aux ayants droit (environ 4 à 7
€ par mois), ce qui légaliserait donc les téléchargements (en peer-to-peer, FTP,
newsgroups...) en étendant à Internet l'exception pour copie privée. Un texte a
été présenté par le parti socialiste et défendu par le député PS Patrick Bloche
avec le soutien du parti communiste, tandis que le second a été soumis par le
député UMP Alain Suguenot et soutenu par Christine Boutin. Et, à la surprise
générale, les 2 textes ont été adoptés par 30 voix contre 28, au grand désarroi
du ministre de la Culture et du rapporteur du projet de loi. Plus exactement,
les amendements indiquent qu'un "auteur ne peut interdire les reproductions
effectuées sur tout support à partir d'un service de communication en ligne par
une personne physique pour son usage privé et à des fins non directement ou
indirectement commerciales, à l'exception des copies d'un logiciel autres que la
copie de sauvegarde, à condition que ces reproductions fassent l'objet d'une
rémunération". Notez que cette loi ne légalise pour le moment que le download,
et non l'upload.
Toutefois, ce texte n'est pas encore définitivement
adopté. Il reste en effet encore de nombreux amendements à étudier ce 22
décembre, et le projet de loi modifié sera ensuite soumis au Sénat pour une
dernière lecture. Le débat est donc très loin d'être clos, et les
rebondissements seront certainement au rendez-vous. A suivre... dans la
prochaine newsletter.