Epilogue dans le feuilleton DADVSI. Le projet de loi sur les "droits d'auteur et droits voisins dans la société de l'information", transposition dans la loi française de l'IP Directive de la Commission européenne, a été validé par le Conseil constitutionnel dans sa quasi-totalité, ce qui met fin à un imbroglio législatif rocambolesque qui n'a pas été avare en rebondissements. Mais, pour surprendre jusqu'au bout, le Conseil Constitutionnel a à son tour apporté des rectifications, qui au final durcissent considérablement le texte (comme si le texte d'origine ne l'était pas assez).
Le Conseil a décidé que les articles 21, 22, 23 et 24 étaient en partie
anticonstitutionnels. Il a également émis une série de réserves
d'interprétation, évitant soit une atteinte inconstitutionnelle aux droits de
propriété intellectuelle des concepteurs de DRM, soit des incompatibilités
manifestes avec la directive communautaire.
• Le dernier alinéa de
l'article 21 (le fameux amendement Vivendi) prévoyait une exonération de
responsabilité pénale des personnes qui mettent sciemment à la disposition du
public des logiciels manifestement destinés à la mise à disposition d'œuvres ou
d'objets protégés, ou qui incitent publiquement à l'utilisation de ce logiciel,
si celui-ci est destiné au travail collaboratif, à la recherche ou à l'échange
de fichiers ou d'objets non soumis à la rémunération du droit d'auteur. La
notion de travail collaboratif étant jugée imprécise, toute l'exception a été
supprimée. L'amendement Vivendi est donc totalement intégré au texte, pour la
plus grande joie des ayants droit : les logiciels manifestement destinés à la
mise à disposition du public d'œuvres ou objets protégés sont désormais
illégaux. Voilà une décision qui place de nombreux éditeurs dans une position
juridique très inconfortable, puisque tout logiciel permettant un échange de
fichier est potentiellement illégal...
• Les articles 22 et 23
dégageaient de toutes responsabilités le contournement des DRM lorsque ces actes
étaient réalisés à des fin d'interopérabilité. La notion d'interopérabilité
n'étant pas définie dans le texte et étant jugée trop imprécise, le Conseil l'a
donc tout simplement retiré de ces articles, ce qui rend désormais interdit le
contournement des protections pour, par exemple, lire un fichier musical acheté
chez iTunes Music Store sur un baladeur autre qu'un iPod. Apple devrait être
satisfait, iTunes Music Store va donc rester en France...
Les consommateurs
et les créateurs de logiciels libres sont les grands perdants de cette décision,
puisque le Conseil confirme que d'une part les ayants droit pourront interdire
toute copie d'une œuvre s'ils le souhaitent, et d'autre part que la
communication des informations essentielles à l'interopérabilité entrainera des
indemnisations pour les éditeurs de solutions DRM. Toutefois, si l'Autorité de
régulation des mesures techniques de protection ne pourra être saisie que par
les industriels, le Conseil souligne que les consommateurs et associations
pourront faire appel aux juridictions habituelles. Le Conseil a en outre
extrêmement limité la seule exception permettant le contournement des DRM : elle
n'est désormais accordée qu'à la recherche en cryptographie (le texte d'origine
ne parlait que de "recherche"), à l'unique condition que cela ne porte pas
préjudice aux titulaires des droits.
• L'article 24, qui était l'article
phare du texte puisqu'il décrivait le principe de "sanctions graduées" (amendes
de 38 € pour téléchargement illicite et 150 € pour mise à disposition), principe
cher à notre ministre de la culture, a été intégralement censuré, car il était
contraire au principe d'égalité devant la loi pénale. En conséquence, les
amendes disparaissent, et le texte revient à la situation actuelle, menaçant
donc tout internaute téléchargeant illégalement une œuvre à une peine maximale
de 3 ans de prison et 300.000 € d'amende, puisque cet acte est qualifié de
contrefaçon... et ceci quel que soit le moyen de transfert des œuvres (P2P, FTP,
e.mail...). C'est donc encore une grande victoire pour les ayants droit, qui
souhaitaient un durcissement des peines. Le ministre, ridiculisé mais qui se dit
pourtant satisfait, va faire appel au Garde des Sceaux pour confirmer qu'il est
"nécessaire que les sanctions soient justes et proportionnées en fonction de la
gravité des faits".
Résumons : DRM imposés, peines réduites supprimées, logiciels d'échange interdits, copie privée quasiment anéantie, interopérabilité plus que limitée... Voilà une des législations sur le droit d'auteur la plus sévère au monde. Le texte (qui semble réellement inapplicable en l'état) devrait néanmoins être rapidement publié au Journal Officiel. http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2006/2006540/2006540dc.htm
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