NewsLetterOnline.net Flash - 27/07/2006

Epilogue dans le feuilleton DADVSI. Le projet de loi sur les "droits d'auteur et droits voisins dans la société de l'information", transposition dans la loi française de l'IP Directive de la Commission européenne, a été validé par le Conseil constitutionnel dans sa quasi-totalité, ce qui met fin à un imbroglio législatif rocambolesque qui n'a pas été avare en rebondissements. Mais, pour surprendre jusqu'au bout, le Conseil Constitutionnel a à son tour apporté des rectifications, qui au final durcissent considérablement le texte (comme si le texte d'origine ne l'était pas assez).

Le Conseil a décidé que les articles 21, 22, 23 et 24 étaient en partie anticonstitutionnels. Il a également émis une série de réserves d'interprétation, évitant soit une atteinte inconstitutionnelle aux droits de propriété intellectuelle des concepteurs de DRM, soit des incompatibilités manifestes avec la directive communautaire.

• Le dernier alinéa de l'article 21 (le fameux amendement Vivendi) prévoyait une exonération de responsabilité pénale des personnes qui mettent sciemment à la disposition du public des logiciels manifestement destinés à la mise à disposition d'œuvres ou d'objets protégés, ou qui incitent publiquement à l'utilisation de ce logiciel, si celui-ci est destiné au travail collaboratif, à la recherche ou à l'échange de fichiers ou d'objets non soumis à la rémunération du droit d'auteur. La notion de travail collaboratif étant jugée imprécise, toute l'exception a été supprimée. L'amendement Vivendi est donc totalement intégré au texte, pour la plus grande joie des ayants droit : les logiciels manifestement destinés à la mise à disposition du public d'œuvres ou objets protégés sont désormais illégaux. Voilà une décision qui place de nombreux éditeurs dans une position juridique très inconfortable, puisque tout logiciel permettant un échange de fichier est potentiellement illégal...

• Les articles 22 et 23 dégageaient de toutes responsabilités le contournement des DRM lorsque ces actes étaient réalisés à des fin d'interopérabilité. La notion d'interopérabilité n'étant pas définie dans le texte et étant jugée trop imprécise, le Conseil l'a donc tout simplement retiré de ces articles, ce qui rend désormais interdit le contournement des protections pour, par exemple, lire un fichier musical acheté chez iTunes Music Store sur un baladeur autre qu'un iPod. Apple devrait être satisfait, iTunes Music Store va donc rester en France...
Les consommateurs et les créateurs de logiciels libres sont les grands perdants de cette décision, puisque le Conseil confirme que d'une part les ayants droit pourront interdire toute copie d'une œuvre s'ils le souhaitent, et d'autre part que la communication des informations essentielles à l'interopérabilité entrainera des indemnisations pour les éditeurs de solutions DRM. Toutefois, si l'Autorité de régulation des mesures techniques de protection ne pourra être saisie que par les industriels, le Conseil souligne que les consommateurs et associations pourront faire appel aux juridictions habituelles. Le Conseil a en outre extrêmement limité la seule exception permettant le contournement des DRM : elle n'est désormais accordée qu'à la recherche en cryptographie (le texte d'origine ne parlait que de "recherche"), à l'unique condition que cela ne porte pas préjudice aux titulaires des droits.

• L'article 24, qui était l'article phare du texte puisqu'il décrivait le principe de "sanctions graduées" (amendes de 38 € pour téléchargement illicite et 150 € pour mise à disposition), principe cher à notre ministre de la culture, a été intégralement censuré, car il était contraire au principe d'égalité devant la loi pénale. En conséquence, les amendes disparaissent, et le texte revient à la situation actuelle, menaçant donc tout internaute téléchargeant illégalement une œuvre à une peine maximale de 3 ans de prison et 300.000 € d'amende, puisque cet acte est qualifié de contrefaçon... et ceci quel que soit le moyen de transfert des œuvres (P2P, FTP, e.mail...). C'est donc encore une grande victoire pour les ayants droit, qui souhaitaient un durcissement des peines. Le ministre, ridiculisé mais qui se dit pourtant satisfait, va faire appel au Garde des Sceaux pour confirmer qu'il est "nécessaire que les sanctions soient justes et proportionnées en fonction de la gravité des faits".

Résumons : DRM imposés, peines réduites supprimées, logiciels d'échange interdits, copie privée quasiment anéantie, interopérabilité plus que limitée... Voilà une des législations sur le droit d'auteur la plus sévère au monde. Le texte (qui semble réellement inapplicable en l'état) devrait néanmoins être rapidement publié au Journal Officiel. http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2006/2006540/2006540dc.htm

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